par Robert Rennheimer
Deux mille, trois mille, peut-être davantage… II est bien difficile de fixer avec exactitude le nombre de personnes venues assister, hier après-midi à Wyhl, a la première grande manifestation de protestation contre l'intervention, jeudi, des forces de police. Mais on peut affirmer que du village jusqu'au terrain où doit être construite la centrale nucléaire, soit une distance de deux bons kilomètres, étaient parquées des centaines de voitures. Et dans la foule on retrouvait des gens de tout âge, de toute condition sociale, solidaires pour proclamer « Non au Kernkraftwerk Sud ».
Une surprise de taille attendait les premiers arrivés de 13 h 30 : l’« esplanade » faisant face aux barbelés de la police était transformée en un véritable bourbier. Le sol avait été arrosé copieusement dans la matinée par les canons à eau à toutes fins utiles. Mais cela n'a pas empêché la foule de s'agglutiner aux barbelés, si bien que les policiers durent à plusieurs reprises faire des sommations : « Attention ne cherchez pas à pénétrer sur le terrain, vous vous exposez aux chiens et aux « Wasserwerfer ». En fait, le camp retranché des forces de l'ordre donnait vraiment une impression sinistre et ceci explique peut-être que du côté des organisateurs de la manifestation on ait Juge utile de placer plusieurs panneaux portant l'avertissement suivant : « Attention à 50 m d'ici... commence la RDA... »
Tout ceci montre assez le climat actuel de Wyhl ! Avant même que ne commençait la manifestation, un responsable a lancé de nombreux appels à la foule : « Evitez tout accrochage, toute provocation, n'offrez à la police aucun prétexte d'intervention. » Injonction qui, malgré une tension évidente, a été suivie jusqu'au bout.
C'est depuis une butté surplombant le « terrain interdit » et sur laquelle était installée une voiture de sonorisation, que les différents orateurs se sont adressés aux manifestants. Et pour commencer cette affirmation. « La démocratie a été foulée jeudi aux pieds, le pouvoir n'a même pas attendu l'arrêt du tribunal administratif de Fribourg pour faire intervenir la police... »
M Wustenhagen, l'un des leaders de l'Association pour la protection de l'environnement, a engagé toute la population a la résistance passive. Et puis hier on s'en est pris souvent avec violence à M. Filbinger, ministre-président du Bade-Wurtemberg, qualifié non pas de « Landesvater » (père de l'Etat), mais de « Landesverräter » (traitre à l'Etat). Il a été somme de cesser ses « calomnies » contre tous ceux qui « défendent leur existence », et invité à défendre son point de vue au cours d'une réunion « Ici même chez nous, dans le Kalserstuhl ».
On a affirmé que la constitution était violée par le gouvernement de Stuttgart et que le gouvernement de Bonn se devait d'intervenir. Et puis un pasteur a accusé M. Filbinger d'avoir « déposé sa conscience dans les coffres-forts de ceux qui font de l'argent avec l'énergie nucléaire ». Le même orateur, appelant à la « solidarité des faibles » pour que ne triomphe le règne de l'atome, a dit encore: « Souffrons ensemble cette nouvelle passion du XXIe siècle. » Côte alsacien. MM. Schirmer et Rettig ont notamment affirmé: «Il faut vaincre notre peur, cette peur de la légalité qui n'est pas toujours synonyme de justice. La non-violence est une chose difficile que nous devons tous apprendre— pour vaincre. » Dans toutes les interventions des orateurs allemands, l'accent a été mis sur le concours apportés par les Français et les Suisses représentés en nombre avec des drapeaux aux couleurs nationales. Et puis aussi cette exigence: «Bientôt nous aurons des élections municipales, ne donnez vos voix qu'aux candidats qui auront pris position sans équivoque contre le KKW-Wyhl. »
Avant et après ces discours, on a entendu des chansons satiriques — genre « Joek Song » — condamnant le « règne de l'argent » qui « veut s'imposer à Marckolsheim comme à Wyhl ».
Dans l'Immédiat, une campagne de signatures a été ouverte pour exiger des autorités du Land le retrait des forces de police et l'arrêt immédiat des travaux sur le chantier protégé par celles-ci. Une collecte doit d'autre part permettre d'assurer l'assistance judiciaire des cinquante personnes interpellées jeudi par la police et qui risquent des poursuites. Enfin il a été demandé aux manifestants de faire en sorte qu'il y ait « du monde en permanence sur le terrain ». Et dans leur camp retranché, les policiers se demandent combien de temps tout cela va durer car déjà les responsables des différentes associations préparent... le grand rassemblement de dimanche !
Source : © Dernières Nouvelles D'alsace, 22 Févier 1975.
l’arbitrage (m.) | Schiedsspruch |
la condition sociale | gesellschaftliche Stellung, soziale Schicht |
le bourbier | Sumpf(loch); im übertragenen Sinne auch: Schwierigkeit |
les barbelés (m.) | Stacheldraht, Drahtverhau |
la sommation | Aufforderung |
sommer | auffordern |
la RDA : la République Démocratique d’Allemagne | die DDR |
en amont-en aval | flussaufwärts, flussabwärts |
l’accrochage (m.) | hier : Zusammen-stoß (zwischen Polizei und Demonstanten) |
le prétexte | Vorwand |
une voiture de sonorisation | ein Lautsprecherwagen |
le tribunal administratif | das Verwaltungsgericht |
le concours | hier: Hilfe, Unterstützung |
la signature | Unterschrift |
interpeller | ansprechen, anhalten |
le rassemblement | Versammlung, Auflauf |